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dimanche 29 avril 2012

La traîtrise du corps ou L'accident d'Achille

"Il y a quelques années, j’ai eu un accident. Bête comme tous les accidents. Mais grave celui-là, un de ceux qui vous conduisent dare-dare aux urgences et au bloc opératoire le lendemain, avec une aiguille de 15 cm dans le dos et au lit.
Enfin, grave – selon mes propres critères - je n’avais jamais été vraiment blessée jusque-là. Donc forcément, j’aurais tendance à grossir le trait.

Je ne pouvais plus marcher.  Le tendon d’Achille rompu, ma cheville flottait dès que j’avais le pied par terre. Une drôle de sensation, ce flottement. La douleur livrée avec, aiguë, et des répliques dans toute la jambe. Je me suis sentie soudain dépréciée.  Avant mon accident, je n’avais pas saisi à quel point c’était une chance d’être posée sur deux pieds valides.

Les distances à parcourir me parurent anormales, longues et semées d’embûches. Ces distances pavées, pourtant familières, se changèrent en chemins compliqués qui me donnaient des cloques sur les mains et bleuissaient mes coudes appuyés sur deux béquilles craintives. Je maudissais mon inexpérience à les manier. Je les suspectai de velléités contraires et d’un esprit retors, propre à me perdre la face et à me faire trébucher.

Quand je ne voulais pas sortir, je rampais. Tout mon petit monde avait été rapproché. Dans un sens, ça paraissait commode. Tout nouveau besoin me demandant de nouveaux calculs, j’en faisais le moins possible. Je pensai bien à sauter sur un pied dès que mon compagnon tournait le dos pour me saisir spontanément et de manière autonome d’un objet. J’avais fait une tentative au début : le pied plâtré avait involontairement tapé contre le sol. J’avais mal évalué la hauteur. Ca m’a fait comme une décharge électrique jusque dans le dos. J’en ai eu le souffle coupé. Ce fut un essai idiot qui me dissuada.

Le soir, ma jambe coincée aspirait à des courses folles dans des champs de coquelicots transparents. Je buvais peu d’eau pour éviter d’avoir à aller aux toilettes trop souvent. L’obscurité était à son tour devenue menaçante. Et, je vous l’ai dit, j’étais malhabile.
Je résistais à l’envie de réveiller mon ami et pourtant, comme j’avais besoin d’être deux !  Je me sentais seule, enfermée dans ma douleur, seule au monde à  veiller. Et quand je parvenais à m’endormir enfin, mes nuits étaient agitées de cauchemars peuplés d’unijambistes, de femmes-troncs et de monstres tripodes.
Chaque nuit, en me couchant, je me demandais quelle nouvelle créature surgirait des limbes de mon sommeil.

Certains jours, j’étais préoccupée. Je lisais des récits de décapitations et d’éventrations pour me distraire. La catharsis n’avait pas toujours lieu, l’activité n’était pas assez puissante pour chasser le trouble : ma jambe me grattait. J’avais été prévenue par mon infirmière à la clinique après mon passage au bloc. Si je voulais me soulager, « il fallait oublier, au risque de vous blesser sans le savoir. Ce serait une très mauvaise idée d’y glisser, par exemple, une aiguille à tricoter ou un couteau pointu. Parce que quand il y a une plaie, avec la chaleur, ça macère et quand ça macère, ça pourrit. Et comme c’est caché, on le voit que quand on enlève le plâtre. Et là, c’est trop tard. Schuitt !... On coupe. Net ! »

« Mais je n’ai pas d’aiguille à tricoter ! », lui avais –je répondu en riant jaune. Je me représentais déjà assaillie de démangeaisons si fortes que je voudrais me débarrasser de ma jambe moi-même. Et alors que j'écoutais mon infirmière me faire des confidences sur de malheureuses complications  - qu'elle me détaillait vraisemblablement par pur sadisme ou par habitude - auxquelles elle avait assisté, je l’imaginais m’amputer d’une jambe parfaitement saine avec un rire sardonique et une scie égoïne...

Schuitt !

Je n’avais donc pas hâte de découvrir ce qui se cachait dans mon plâtre. Ce serait certainement atrophié, diminué, avec partout des peaux mortes semblables à d’épaisses toiles d’araignée. Il y en avait déjà plein les bords...
Ce serait, c’est sûr, mou et poilu, tel un morceau de bidoche accrochée à mon genou, pendant et sale. Un met de choix pour les mouches...
Ce serait enflé sur la couture, avec du sang caillé autour. Malgré mes soins attentifs.

Du coup, je ne lisais plus. L’épouvante que je façonnais la nuit gangrenait mon réel diurne.

Quand le cocon s’est ouvert, j’eus pitié pour moi-même. C’était laid, misérable et à jamais traumatisé. Pourrai-je à nouveau me fier à mon pied? "

Je termine juste "Bras cassé" d'Henri Michaux, poète et écrivain belge d'expression française. Je suis surprise de lire dans les lignes poétiques du petit livre, mes propres angoisses, ma propre aventure avec mon corps handicapé, l'adaptation à son équilibre perturbé, la recherche d'une nouvelle architecture efficiente du corps, mon propre parcours d'apprentissage et de réappropriation de mon membre accidenté perçu  - longtemps - comme défaillant et traître. 
Pas de similitude ici, cependant, entre mon expérience et celle du poète. Simplement, j'ai lu avec plaisir ce texte sur un sujet familier dont le ton, l'objectif, l'intention, n'est ni médical, ni scientifique ni littéralement autobiographique.

© ema dée

mercredi 25 avril 2012

Le corps à vif et salle obscure

Des films d'horreur et des thrillers, bien sûr ! 

Des histoires dans lesquelles le corps est mis en scène et malmené : acte de chirurgie, sens anormalement développé, faculté surnaturelle… Dans chacun de ces récits, le corps, étrange et étranger, devient le centre d'expériences, le berceau de la folie, et le prétexte cinématographique à des effets spéciaux, des constructions narratives et des bandes sonores originales qui s'impriment dans la rétine et nous font tressaillir. 

Ici, s'invitent donc le dégoût, la paranoïa, le gore et le fantastique. 

Enfin, ce sont des aventures humaines qui interrogent notre rapport aux autres, à nous-mêmes et à notre environnement proche : qui n'a pas rêvé de posséder une faculté susceptible de le venger, de satisfaire ses instincts primaires ou désirs érotiques, d'accomplir ses plus belles idées ? Qui n'a pas pensé un instant - irrationnel forcément- en suivant les progrès de la chirurgie réparatrice à la possibilité du « ratage », d'être possédé ou dépossédé ? Qui à un moment de grande fragilité, à la suite d'un évènement personnel choquant que l'esprit a du mal à circonscrire ou contrôler, n'a pas eu l'impression de sentir naître en lui comme une sorte de faille ou, se réveiller une vieille blessure physique ou encore, faire l'expérience d'un mal inédit ?


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Un son qui déchire de Brad Anderson (USA) 
Distr. Universal - 2006 - ! Interdit aux - de 12 ans
Appartenant à la seconde saison des "Masters of Horror", cette fiction s’intéresse à Larry Pearce (Chris Bauer), responsable qualité d’un centre d’appels qui se découvre une ouïe sur-développée.  Ce qui pourrait apparaitre comme un film d’horreur finit par devenir une histoire dramatique, dont on comprend le point de départ tragique loin dans le film, alors qu'un certain malaise s’est bien installé dans nos petits cœurs de spectateurs « épouvantophiles » : Larry a subi un traumatisme dont il s’accuse. Et pour ne plus entendre le bruit de sa culpabilité qui l’assaille inexorablement,  Larry va tout tenter. Tout. Biographie d'un homme en souffrance.


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Scanners de David Cronenberg (Canada)
Filmplan Entertainment - 1981
! Interdit aux - de 12 ans
Ca commence dans ma mémoire par un jeu, genre « fight du regard » qui dégénère : c’est à qui fixera son voisin dans le blanc de l’oeil le plus longtemps, à qui devinera les  pensées de l'autre le plus vite et  à qui fera exploser le crâne de son voisin assis en face de lui le premier... Sur fond de manipulations et de suspense, de mutations et de grotesque, les "Scanners", hommes et femmes dotés d’une faculté particulière à cause d’un médicament prescrit aux mères enceintes, se poursuivent, se traquent et s’éliminent sans demi-mesure : les crânes craquent, la chair se liquéfie, les veines se mettent à bouillir… Une vraie expérience visuelle, bien flippante.


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Body Parts de Eric Red (USA)
Vista Street Entertainment - 1991
! Interdit aux - de 12 ans
Basé sur le roman de Boileau-Narcejac intitulé Et mon tout est un homme, ce film raconte l’histoire de Bill Chrushank (Jeff Fahey) qui, à la suite d’un accident de voiture, perd un bras. Il lui est rapidement proposé une greffe. Alors qu’il  se remet doucement de son opération, Bill sent que ce nouveau membre est habité de pulsions. C’est que le donneur n’est autre qu’un maniaque tout fraîchement exécuté… Drame gore ou comment une prouesse médicale tourne au cauchemar.


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The Eye de Danny Pang et Oxyde Pang  (Thaïlande) 
Distr. EuropaCorp - 2003 - ! Interdit aux - de 12 ans
Mann (Angelica Lee) est aveugle depuis l'âge de deux ans. Dix-huit ans plus tard, à la suite d'une transplantation expérimentale de la cornée, elle recouvre l'usage de ses yeux. La joie de découvrir le monde autour d'elle et les contours de son propre visage vont vite céder la place à l'incompréhension, l'inquiétude puis l'effroi... Comment vivre avec ce que l'on n'a jamais connu? Un questionnement inventif sur le handicap.
© ema dée 

dimanche 15 avril 2012

Dois-je avoir peur ?

Chers internautes,

Il y a un ogre qui vit dans la chambre d’à côté…  Ma copine est inquiète, elle entend des bruits dans l’appartement du dessus. Or, personne n’habite à l’étage du dessus…  Un collègue de bureau connait un immeuble de quinze étages dont l’ascenseur n’a pas de bouton 13...  La publicité montre régulièrement des accidentés de la route, dans leurs habits de mort subite, pour éduquer les masses… Dans les contes, il y a toujours une forêt dense et profonde à traverser pour retrouver sa route… Il disait qu’il ne s’attachait à personne par commodité… Les oiseaux, lorsqu’ils sont en groupes dans les jardins ou sur le bord des trottoirs, semblent comploter…  Je me rappelle avoir entendu  d’étranges rumeurs sur cet homme au visage défiguré parce qu’il ne sortait de chez lui que très tard le soir, voué, par une petite porte dissimulée aux regards…  Ce sont autant de situations réalistes ou imaginées, vécues ou anticipées qui influencent nos actes, pétrissent nos coeurs et prennent le pouvoir sur notre volonté. On a tous une peur ou deux, ou plus, bien installées dans l’armoire ou tapies sous le lit, aux aguets, prêtes à surgir, des peurs qu'on croit maîtriser parce qu'on est devenu un adulte, des peurs qu'il convient de cacher avec la maturité.

La peur serait-elle le privilège de l’Enfance ?

Il existe une peur nécessaire : celle qui, quasi animale et instinctive, prévient d'un danger imminent. C’est un danger qu’on a appris à connaitre ou à reconnaitre avec l’expérience. Ou il s’agit d’un danger qu’on ressent naturellement dans ses tripes : quelques chose ici n’est pas normal. Et puis, il y a les autres, toutes les autres, les intruses.

La peur viendrait d'un trop plein d'imagination, à ce qu'il paraît?

La voix tremble, les mots s'entrechoquent, les yeux se mouillent, les mains deviennent moites, le cœur s’emballe, les poils se dressent, des vertiges se font sentir, puis vient l’engourdissement et c'est la chute. La peur aime s’annoncer avec tambours et trompettes. Chez certains, c’est une vraie fanfare.

Une  cacophonie terrible.

Dans l’Art, elle parle parfois de l’horreur humaine, alors elle grimace, hurle, se peinturlure...  Dans le cinéma en particulier, elle repose sur des codes et des artifices de genres qui se brouillent à loisir. On a peur pour de rire, quoi que…  Dans la littérature, elle est volontiers la fiancée du fantastique, du merveilleux ou du polar…

Tour à tour, la peur galvanise, électrise, inspire, terrasse, créant l’hystérie collective, le trauma individuel...

Je m’appelle PHOBIE
Tu t’appelles Panique
Elle s’appelle Angoisse
Il s’appelle Crainte
On s’appelle Névrose

Nous nous appelons Terreurs
Vous vous appelez Paranoïas
Elles s'appellent Epouvantes
Ils s’appellent PEURS

© ema dée