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jeudi 31 décembre 2015

Conte de la Saint-Sylvestre ou La véritable histoire de la Fête de fin d'année

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… Ce matin de la trente-et-unième journée du mois de décembre de la quinzième année de l’an 2000, Saint-Sylvestre, saint patron des fêtes de fin d'année, se lève tranquille. Tranquille, il peut l’être vu que ça fait un an qu’il roupille dans sa maison en Ardèche…
 
Avant, au début de son installation au 4ème siècle après Jésus-Christ au Royaume des Fêtes et Célébrations(vaste domaine comprenant les actuelles régions de la Franche-Comté, de la Bourgogne, la région Rhône-Alpes, l'Auvergne et le sud de la région Centre), Saint-Sylvestre recevait en consultation et toute l’année, des gens de toutes conditions, beaucoup de gens, trop pour un seul homme estimait-il. Avec toute la patience qu’il avait en lui, il écoutait toute la misère humaine et de tout son être, il consignait tous les désirs de chacun. Assis à son bureau taillé dans la vieille pierre, il distribuait des promesses qu’il savait impossibles à tenir faute de moyens à sa portée, le Royaume serrait les budgets. De son vivant de pape, il faisait l’affaire, il était industrieux. De son vivant de saint patron, son cas était délicat, il n’était pas aussi populaire. Les gens venaient à lui les mains vides et le remerciaient à peine pour son travail. Du coup, il se faisait du souci et dormait mal. Ca lui gâtait le caractère. Il était toujours là pour les autres, à proposer qui une main pour ceux qui avaient besoin de pleurer, qui ses bras pour ceux qui avaient besoin d’être câlinés, qui ses genoux pour ceux qui cherchaient le réconfort, qui ses épaules pour offrir son soutien dans l’adversité, mais qui était là pour lui ? Très vite, il devint un esprit méchant. En plus de ses sautes d’humeur dues à son manque de sommeil, il y avait ses colères terribles qui éclataient durant ses permanences. Saint-Sylvestre déprimait parce qu’il était fragile des nerfs et que personne ne s’en souciait du moment qu’il était là pour écouter le malheur des autres. Son mauvais caractère fit rapidement sa réputation, on venait à lui pour se plaindre et se sentir mieux, on filait vite après. Saint-Sylvestre eut été un meilleur conseiller si quelqu’un s’était un peu inquiété de son sort. En outre, il n’était pas très séduisant, aucune femme ne cherchait sa compagnie, ce qui n’arrangeait rien à ses dispositions d’esprit et à son équilibre général. Les années, les siècles passèrent.


Le médecin du royaume des Fêtes et Célébrations qu’il dut consulter en urgence lui diagnostiqua au 15ème siècle, un burn-out aggravé par une forte dépression compliquée par des troubles maniaco-dépressifs. Il maigrissait à vue d’œil. Il errait de jours de fête en jours de fête avec sa cohorte de pensées suicidaires. Quand il n’y semait pas le trouble, il vivait terré dans sa maison, parlait aux objets, et envoyait des cailloux par la fenêtre - et parfois des œufs ou d’autres éléments de nature suspecte - à ceux qui venaient en consultation pour se plaindre de l’année en cours. Un comportement bien déplorable pour un saint de fêtes de fin d’année où doivent triompher la joie et l’allégresse, comme l’indiquait le panneau de signalisation à l'entrée du Royaume. Ca la fichait mal. Tous les saints du calendrier Grégorien vinrent frapper, de leur poing outragé, au portail de la maison du grand Esprit des Fêtes et Célébrations. La situation était critique, car les miséreux, laissés à l’abandon ou mal conseillés, traînaient leurs doléances inappropriées dans la maison des autres fêtes de l'année.


Le grand Esprit des Fêtes et Célébrations dut se pencher sur la question de mauvaise grâce car il détestait les travaux forcés. Il reconnut que la situation était compliquée “en effet” voire préoccupante. Malheureusement, on ne pouvait pas se défaire de Saint-Sylvestre ni le faire remplacer ; une fois entré au Royaume, c’est-à-dire inscrit dans le calendrier, un saint ne pouvait plus en sortir - ou il aurait fallu qu’il dépassât les bornes pour être excommunié – donc, le saint était complètement attaché à l’exercice de sa charge... pour l’éternité. Là, était le drame, Saint-Sylvestre détestait sa condition de saint qui ne lui apportait aucune satisfaction pécuniaire, intellectuelle ou psychologique. En plus, on l’avait choisi à cause de son nom, plus personne ne se rappelait de ce qu’il avait réussi à faire bâtir dans le monde des Hommes. Il sentait bien qu’il était un choix par défaut et il noyait cette conviction dans un alcoolisme de forcené.


Dans la 26ème semaine de l’an 1900, Saint-Valentin eut une idée qu’il trouva géniale, tout simplement : plutôt que de laisser Saint-Sylvestre s’occuper de la misère du monde toute l’année, peut-être que la moitié de l’année suffirait à contenter toutes les demandes, par exemple jusqu’à l’été. Il pourrait se reposer les six mois restants jusqu’au dernier jour de l’année ; Nouvel An assurerait l'intérim pour le jour suivant. Saint-Sylvestre détestait Saint-Valentin, car tout le monde l’aimait à cause de ses joues et de ses fesses roses et rebondies et parce qu’il était d’une humeur égale – ce qui était faux, Saint-Sylvestre savait très bien que dans le privé, Saint-Valentin était un hypocrite doublé d’un violent personnage qui battait comme plâtre Sainte – Valentine. Mais la dénonciation et le cynisme n’avaient pas leur place au sein du vaste et bien pensant Royaume des Fêtes et Célébrations. On tint conseil, Saint-Sylvestre écouta comme il put, vu qu’il avait bu tous les soirs des 25 semaines précédentes. Le saint s’agita cependant à l’annonce de son nom et maugréa quand on lui rapporta la géniale solution de Saint-Valentin. On vota. Il y eut deux vétos, celui de Saint-Sylvestre qui, par principe, n’était jamais d’accord sur rien et celui de Saint-Équinoxe d’été. Saint-Équinoxe d’été pointa une réalité : on oublierait de célébrer sa fête à lui, à cause des lamentations en provenance de la maison de Saint-Sylvestre. Le grand Esprit opina du chef « certes ». On était coincés.


L’esprit de Mardi-Gras proposa une mise aux enchères inversées, la Chandeleur sauta de joie sur sa chaise en forme de poêle sans savoir de quoi il retournait vraiment. Le but des enchères inversées était de trouver la plus petite valeur possible à une denrée. Saint-Sylvestre maugréa de nouveau, il n’aimait pas l’idée qu’on le comparât à une denrée, ou peut-être ronflait-il dans son sommeil ? Halloween qui ne comprenait jamais rien parce qu’il n’écoutait jamais rien, hurla “13 mois !” On le regarda du bout des lèvres - il n’était là qu’à titre de consultant depuis le 19ème siècle et il faisait déjà des siennes alors que sa charge n’avait pas encore commencé - sauf Épiphanie, qui n’était pas très amène, et qui lui jeta un regard tout particulièrement de biais. Toussaint, pour qui Saint-Sylvestre était une sorte de pleutre, proposa « une minute ». On rit, l’idée était saugrenue. Les noirs sourcils du grand Esprit du Royaume se rapprochèrent, se froncèrent, durement. Ca stoppa net ces effusions déplacées. Saint-Patrick qui partageait avec Saint-Sylvestre le goût pour les fêtes arrosées proposa d’une voix de stentor « UN MOIS ». Nouvel an chinois et Lailat al-Qadr applaudirent. Ca, c’était une idée. Ce n'était ni trop long ni trop court. Les gens de toutes conditions pourraient venir adresser leurs doléances pendant un mois. Le médecin du royaume se racla la gorge pour qu’on lui laissât la parole. Il expliqua que dans l’état d’épuisement général dans lequel était Saint-Sylvestre, il ne serait être question de venir jusque chez lui pour lui demander quoi que ce soit, ne serait-ce qu'un verre de vin ou de pouvoir trouver un emploi subalterne - même à mi-temps. On se frotta le menton en signe de concentration, on se tira le nez embarrassé, on se caressa le front d’ennui, on se gratta la tête, perplexes. 


A l’aube de l’an 2000, les saints, les jours de fête et le grand Esprit du Royaume des Fêtes et Célébrations en étaient là de leurs ruminations. Un vent de panique souffla, que pouvait-on faire ? QUE POUVAIT-ON FAIRE ?  Poisson d’avril demanda la parole et de sa voix flutée et assurée qui tira Saint-Sylvestre de son sommeil paradoxal, dit qu’elle pensait avoir trouver LA solution : Saint-Sylvestre méritait son repos - tous le reconnaissaient, même ceux qui le haïssaient. Qu’on le lui accorde, enfin ! Il avait été tant sollicité, on attendait tant de lui, d’une année sur l’autre et d’un siècle à l’autre. Il n’était qu’un saint ordinaire après tout, pouvait-il faire des miracles ? Un repos lui serait donc accordé, à condition, à condition insista Poisson d’avril avec un ton exceptionnellement sérieux, que chaque 31 décembre, il se réveillât, se lavât et rinçât sa maison, s’apprêtât de ses plus beaux habits, sortît ses plus belles cruches en fonte, tasses en verre et plats en faïence, mitonnât ses plus savoureux mets et desserts, ouvrît toutes grandes les portes de son petit domaine – domaine que Poisson d’avril trouvait charmant à sa manière - et fît la fête et reçût, comme tous les autres saints du calendrier et ce, durant une nuit. Toussaint pouffa à l’idée d’une fête chez ce rabat-joie dépressif de Saint-Sylvestre. Il reçut de Saint-Valentin, secret admirateur de Poisson d’avril, un violent coup d’aile dans le dos qui le fit dégringoler de sa chaise en faux marbre. On rit, quel fat, celui-là ! « Et », vint conclure Saint-Valentin, « les gens du monde entier auront tout le mois de janvier pour exprimer leurs vœux, mais pas un jour de plus ». 


Nouveau raclement de gorge du médecin du royaume. Le grand Esprit du Royaume des Fêtes et Cérémonies avait le dos fourbu et le cerveau ankylosé, les longues réunions n’étaient pas bon pour sa santé nerveuse. Il consentit néanmoins à apporter une précision: "Les gens du monde entier auront tout le mois de janvier pour exprimer leurs vœux, mais pas un jour de plus, par tous les moyens possibles sans exclure le courrier longue distance évidemment." Le médecin toussa de satisfaction.  Épiphanie, toujours aussi peu amène mais qui secondait le grand Esprit d’une main experte, se leva d’impatience et appela au vote. Les saints et les jours de fête furent unanimes.

 

… Ce matin de la trente-et-unième journée du mois de décembre de la quinzième année de l’an 2000, Saint-Sylvestre se lève tranquille. Tranquille, il peut l’être vu que ça fait un an qu’il roupille dans sa maison en Ardèche. Il se lève et ouvre toute grande la fenêtre de sa chambre à coucher. Il sort balais, serpillères, éponges et crème à récurer. Il attend la visite d’Épiphanie et de la Chandeleur qui se sont proposées chaque année pour l’assister dans ses préparatifs, aidées par Toussaint, désigné volontaire jusqu'à la fin des Temps. Il faudrait que Saint-Sylvestre aille se laver quand même, se réveiller dans un bon bain parfumé -  il se regarde dans le miroir de son salon, un miroir rond cerclé de corail et de poissons en cristal de sel - et se raser de près. Aura-t-il assez de cruches pour servir le monde entier - ou presque - qui viendra le visiter cette nuit ?... 

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(À suivre parce qu'au moment où je publie ce conte, de nouvelles informations me parviennent tout juste qui pourraient apporter des éléments de précision majeures, susceptibles de modifier ce premier récit.) 

Pour lire une autre histoire sur le même sujet, mais dans un autre genre.

© Ema Dée

jeudi 24 décembre 2015

Belles fêtes de fin d'année...

Chères internautes, chers navigateurs du web,


Parce qu'il y a un temps pour sourire et un temps pour s'égayer,
Parce qu'il y a un temps pour amasser et un temps pour prodiguer,
Parce qu'il y a un temps pour fredonner et un temps pour célébrer,
Parce qu'il y a un temps pour se réunir et un temps pour festoyer,
Parce qu'il y a un temps pour se sustenter et un temps pour déguster,
Parce qu'il y a un temps pour badiner et un temps pour s'encanailler,
Parce qu'il y a un temps pour bouger et un temps pour guincher,

Parce qu'il y a un temps pour se désaltérer et un temps pour s'enivrer,
Parce qu'il y a un temps pour bavarder et un temps pour galvaniser,
Parce qu'il y a un temps pour griffonner et un temps pour composer,
Parce qu'il y a un temps pour s'apprêter et un temps pour resplendir,
Parce qu'il y a un temps pour rêver et un temps pour s'accomplir
Parce qu'il y a un temps pour se recueillir et un temps pour oublier
Parce qu'il y a un temps pour offrir et un temps pour surprendre...


à toutes et à tous...

... Ne soyez pas trop sages.

© Ema Dée

mardi 22 décembre 2015

Dans la salle d'attente ou La répétition


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 À temps
Pousser la porte après avoir sonné à l'interphone... Pousser à trois. Je suis prête, un, trois ! Avant cela dans le couloir, petite vérification de l'état de mes chaussures à talons que je garde soigneusement rangées dans une boîte en carton et papier de soie pour mes entretiens professionnels. Et avant cela dans le miroir carré de l'ascenseur qui me renvoie l'image d'une femme tronc, petite inspection de mon allure extérieure générale. Rien n'est aménagé ici ou ailleurs, pour l'étude de mon état intérieur particulier.

J'ai rendez-vous pour un entretien.

Visage souriant, je parcours avec une assurance mesurée le mètre cinquante - à peine -  qui sépare la porte d'entrée de l'agence et le bureau qui engloutit la secrétaire. Je prends le dossier qu'elle me tend. Est-ce que ma main a frissonné quand l'employée l'air affairé blonde à frange nette chemisier vaporeux en soie rouge ongles bouche et paupières vernis m'a dit d'aller m'assoir avec une voix métallique ? 

Il fait gris - beige ici.

Dans la salle d'attente cinq chaises côte à côte. Plutôt deux, en fait, car trois sont déjà occupées par un candidat très concentré qui a visiblement investi pour l'occasion : costume frais et mocassins assortis, coupe de cheveux impeccable, rasage du matin même, rictus de la bouche et sourcils relevés livrés avec, entrejambe largement ouvert près à dégainer ou presque. Pour l'éclat et l'assurance, l'arrogance et la concurrence, savoir occuper trois sièges à soi tout seul, je retiens la leçon. Question de marquage de territoire.


Je prends difficilement mes aises sur mon siège. Je suis chargée, endimanchée, j'ai chaud, j'ai misé sur l'esthétique, je réalise mon trop plein de sacs, mon trop plein de chemises en plastique transparent, mon trop plein de corps à gérer sur ma chaise "design" - dure, inconfortable, inhospitalière. Le costume gominé à ma droite qui remplit de sa plus sérieuse écriture le formulaire d'embauche, le buste baissé, jette un voile terne sur ma tenue pimpante de future chargée de relations clients. Je me sens godiche dans ma paire de chaussures de dame à peine étrennées, dans ma mise bon chic toujours genre en laine tricotée et motifs géométriques noirs et blancs. J'aurais dû regarder la météo.

5 minutes
Le costume à bouts pointus et profil de winner se lève, sec, bref, en terrain familier face à l'assistante RH. Son "Bonjour" a une poignée de main en volonté trempée, son "Je vous suis" la pupille d'un aigle prêt à foncer sur sa proie et son "Merci" la dentition pointue d'un loup. La tornade glacée passée, je me recentre en me demandant soudain à quel animal je peux bien ressembler.
Je tourne les feuilles du formulaire plusieurs fois. Je lis le formulaire plusieurs fois - rapidement - avec l'impression désagréable d'avoir traversé une faille temporelle en posant mes fesses sur le siège, je suis dans un lieu étranger : je ne comprends pas ce qui m'est demandé, rien dans mon parcours professionnel ne rentre dans les cases du formulaire, je ne trouve pas les réponses à inscrire dans les petits espaces formatés, je ne sais pas ce que je dois inscrire, les mots me parlent dans une langue mystérieuse et hostile. Installée dans le fond de mon corps, l'angoisse que j'ai parvenu à museler jusque-là remonte comme libérée de ses entraves.

7 minutes
Panique. Panique. Peut-être qu'on me regarde faire depuis cinq minutes depuis un orifice aménagé discrètement dans le mur, derrière le photocopieur ? Peut-être qu'on m'observe me démener en prenant des notes depuis le fond du couloir silencieux ? Peut-être qu'on me voit chercher à garder une consistance polie, en consignant tous mes tics nerveux ? Je joue le jeu et j'expédie l'exercice comme je peux.

10 minutes
Le bruit - agacé - du siège à roulettes de la secrétaire me tire dans la réalité de la salle d'attente. La secrétaire passe devant moi, juchée sur des mocassins dangereux qui assassinent le sol en linoléum, elle en a marre de marre de marre de... J'attends qu'elle revienne pour lui rendre mon formulaire, parce que marre de marre de ma copie, la seule dont je ne serai pas fière.

23 minutes
"Faites de la monnaie, s'il vous plaît" me répète invariablement et pour la cinquantième fois au moins le photocopieur qui me fait face. 
Si seulement je pouvais lire quelque chose de parfaitement anodin qui me ferait bien rire... J'aime lire les revues féminines... faire les tests de personnalité : "Êtes-vous une anxieuse paranoïaque" ou "Savez-vous dompter votre sex-appeal" ou encore "Quelle serial-killeuse pourriez-vous être? " Rien pour me distraire ici. Je n'ose pas sortir mon calepin pour noter une idée qui me vient. Sur la table basse en faux formica gris, je trouve un numéro spécial de la revue Santé Pro "L'angoisse des candidats" et dessous, un hors série de l'Immo des entreprises "Les bureaux font grise mine". Bof.

32 minutes
Retour de la secrétaire. Je lui remets mon formulaire en me hissant sur la pointe des pieds. Le bureau qui l'engloutit ne me paraissait pas si haut quand je suis rentrée dans l'agence. Peut-être ai-je perdu quelques millimètres à force d'attendre, peut-être me suis-je un peu tassée ? Ai-je vieilli ?

37 minutes
J'ai déjà dit que j'avais chaud ? Mes pieds sont à l'étroit dans mes chaussures de circonstance. Les chaussures serrées me compriment le cerveau. J'ai déjà dit que j'avais chaud ? Le pantalon que je porte me parait soudain inapproprié pour un poste de chargée de relations. Est-ce qu'il faudra que je mette des chemisiers flous et talons sados quand j'aurai le poste ? Comment troquer le bout de mes doigts en spatules contre des mains pointues d'employée castratrice affairée ?

43 minutes
Je remarque qu'il ne se passe pas grand-chose ici depuis le départ de mon costume tiré à quatre épingles et le retour de miss marre de marre de. "Faites de la monnaie, s'il vous plaît." 
Aucun son excepté la petite musique bizarre de la secrétaire qui soliloque dans son coin : petit bruit d'ongles vernies sur les touches du clavier sur sonate pour murmures et soupirs. À ma gauche, après la salle d'entretien à la porte close, un très grand bureau ouvert, avec à l'intérieur, rien à part un petit bureau - inoccupé. Aucune affiche aux murs; ce qui se fait de mieux pour rester concentrer sur sa tâche ? J'écouterai bien de la musique. Est-ce que ça bouge au fond du couloir ? Toc, toc, il y a quelqu'un d'autre ici ?

48 minutes 
La table en faux formica se marrie très bien avec la plante en vrai plastique qui se marrie très bien avec ma crainte réelle de devenir une chargée de. Spots à intervalles réguliers au-dessus de mon œil gauche, points aigus dans l'épaule gauche, douleur grinçante dans la mâchoire gauche, fanfare annonciatrice d'une migraine carabinée.

49 minutes
J'écouterai bien de la musique. C'est ce qui manque, ici, de la musique. Il manque aussi des employés. La musique anesthésie mes pensées, la musique endort mes maux de tête. Je cherche sur le sol anthracite quelque chose à compter. Plus jeune, j'aimais compter, je faisais d'incessants et fascinants comptages : le nombre de feuilles sur le chêne planté dans le jardin de la maison de mon enfance, le nombre de pavés sur les chemins du cimetière où se repose ma grand-mère maternelle, le nombre d'élastiques de couleurs différentes que portait ma meilleure amie d'école primaire, le nombre de cailloux que je pouvais tenir dans mes deux mains ouvertes de collégienne, le nombre de fois que madame Grawitz, mon professeur d'Histoire-Géographie de 1ère A3, tirait sur son lobe droit pendant nos interros. Il n'y rien à compter de fascinant ici.

55 minutes
Le requin rasé de frais en costume de cérémonie sort enfin du bureau, l'abdomen définitivement conquérant, l'allure convaincue, juste au moment où je me dirige, résolue, vers la porte de sortie de l'agence. Avant lui, je saisis la poignée, j'ouvre la porte, je suis dans le couloir, la porte se referme, devant lui. Clic. Je t'ai eu ! 
Ai-je bien dit à la frange blonde coupée net, avant de sortir : "Je vous remercie d'avoir postulé à mon offre de candidature, malgré vos compétences, votre profil d'employeur ne correspond pas à ce que je cherche." 

Ne l'ai-je pas plutôt hurlé ?...

(D'après un moment de vie qui me fut révélé un jour.)

Je poursuis ici ma réflexion personnelle, engagée sur la question de l'entretien d'embauche que j'ai commencée il y a quelques semaines, sous la pression d'une envie soudaine. Je propose de se revisionner quelques passages des films suivants en guise d'illustration :

- Le couperet de Costa-Gavras (2005)
- Lulu femme nue de Solveig Anspach (2014)
- Le jouet de Francis Veber (1976) 
- La méthode de Marcelo Mineyro (2007)
- Men in Black de Barry Sonnenfeld (1997)
- Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze (1999)

© Ema Dée

jeudi 17 décembre 2015

Portrait d'une série policière culte : Columbo

Chères internautes, chers navigateurs du web,
 
De l'intérêt de sortir de mes sentiers battus...

Il est des sujets sur lesquels on se penche naturellement parce qu'on a des choses à dire à leur propos, parce qu'on y trouve matière à réflexion, à rumination ou à bavardage, parce qu'on s'y retrouve complètement, soit parce qu'on aura reçu l'éducation appropriée, l'enseignement pertinent et spécialisé qui facilite l'accès à ces questions, soit parce qu'on y est sensible presque intuitivement. Ce sont des sujets, thèmes, questions, problématiques qui nous parlent, qu'on évoque simplement, qu'on aime étudier et pour lesquels on fait montre aisément de créativité. 

Il en est d'autres qu'on appellera des "sujets de circonstance" vers lesquels on est poussé à l'occasion, de manière événementielle. Pour ceux-là, il faudra s'appliquer à, il faudra tenir ses nerfs, il faudra forcer leur résistance car, ces sujets ne se livrent pas immédiatement. Bien plus, il faudra travailler à lever le voile qui les rend mystérieux, à entailler l'écorce qui les rend inaccessibles ou encore, à creuser les couches qui les protègent de notre regard et qui les tiennent à distance de notre compréhension claire. 


Pour aller de l'étude de ces sujets connus, familiers, immédiats à ces sujets "inédits" - barbares et silencieux - il convient de se reposer sur une méthode. Au cours de mon Master 1 Lettres et Création littéraire contemporaine, j'ai été amenée à me "pencher naturellement sur certains sujets" et à partir à la conquête d'autres, poussée par "l'occasion". L'occasion ? Un séminaire, un atelier de pratique littéraire, un workshop... Aujourd'hui, je rends compte à travers un dossier personnel de l'étude que j'ai menée sur une série télévisée culte, Columbo.

La rédaction de ce dossier de recherche a été pour moi une expérience réellement enrichissante - hors de mes sentiers battus - car l'analyse m'a permis d'aller plus loin que mon simple intérêt de téléspectatrice pour la fiction policière en général. Je me suis  en effet rapprochée d'un matériau narratif d'apparence familière mais avec de nouveaux outils à expérimenter. Ce matériau culturel a été observé au regard d'une question qui traverse finalement tout mon travail de création artistique et littéraire, le rapport réel/ fiction/ réalisme/ réalité.


... Pour un travail de recherche sur une série télévisée culte...

Ce travail de recherche a été mené de mars à avril derniers, dans le cadre de  mon évaluation pour le séminaire Séries télévisées : Stratégies de narration sérielle, réflexivité et transmédialité, conduit par Claire Cornillon, professeure agrégée en Lettres Modernes et maître de conférences. Intitulé Columbo vs Columbo, de la fiction à la réalité et de la réalité à la fiction, mon dossier entend être une proposition d'analyse personnelle, commentée et contextualisée de cette série policière, c'est-à-dire dans une forme littéraire, créative ET scientifique.

Cette recherche se présente en effet comme une mise en pratique de ce séminaire qui m'a plongée pendant deux mois dans l'étude critique de séries télévisées sous la forme d'ateliers associant théorie (terminologie et courants de pensée) et étude collective d'extraits projetés. Chaque séance aura permis d'aborder et de comprendre différentes notions essentielles (venues du Cinéma ou de la Littérature et qui s'appliquent à la série) comme la métafiction, l'hypertextualité, la matrice*, la temporalité*, le réalisme*... au travers d'exemples pris dans la production télévisuelle des années 2000.


J'ai choisi de poser mon regard curieux sur la série Columbo malgré le fait - et le risque - qu'elle puisse paraître datée, rétro, voire dépassée ou hors propos, à l'heure de créations actuelles telles que True Detective, Braquo, Person of interest... et par rapport à l'objet de référence de notre séminaire. Les raisons de mon choix pour cette série canonique* créée entre 1968 et 1972 aux États-Unis seront explicitées dans l'introduction de mon dossier.

Mon étude qui se limite à cette série - sans écarter les évolutions du Genre - en montrera tant les composantes que les mécanismes et les particularités. Pour ce faire, j'ai pris appui et sur mes nouveaux outils d'analyse et sur ma connaissance et mon intérêt premiers pour cette fiction sérielle particulière dans le paysage des séries policières.
 
Ce dossier de recherche est présenté à la lecture dans sa version première : il s'agit ici de publier un point de vue singulier sur une série sur laquelle d'autres études ont déjà été publiées. Celle que je propose ne les a pas choisies comme référence ou soutien. J'ai plutôt eu recours à la lecture d'ouvrages sur la Série, la Fiction policière et aux points/ questions mis en lumière au cours de mon séminaire. 


... Entre l'amateurisme éclairé, la volonté d'expertise et l'exercice littéraire créatif.

En dehors de la contrainte de l'exercice obligatoire visant à montrer ma capacité ou plutôt, l'étendue de ma compréhension des enjeux soulevés par la série télévisée (narrativité, intertextualité, réflexivité par exemple) et sa production (audience, produits dérivés, longévité... ), quels étaient mes objectifs, ma quête, mes désirs non formulés ?

L'intention de cette recherche s'est précisée au cours de la préparation et la rédaction de ce dossier ; elle est de nature composite :

-Mener une analyse et des recherches cadrées par un enseignement universitaire ;
-Participer à ma manière à la réflexion collective initiée par d'autres sur cette série ;
-Acquérir des connaissances (esthétique, méthodologie) dans un domaine culturel spécialisé ;
- Enfin, paradoxalement, prendre de la distance et de l'assurance vis-à-vis de mon séminaire pour livrer une étude - autonome - littéraire à visée journalistique.


Ce dossier est constitué de six chapitres. Ils traitent successivement de l'identité de la série Columbo, du personnage du lieutenant de Police, de la personnalité des criminels, des lieux, de la temporalité, pour revenir sur la question du rapport fiction/ réalité/ réalisme/ réel qui a servi de fil conducteur à mon étude. Celle-ci écrite dans une langue qui se veut pédagogue associe dans ce but, rappels historiques, analyse, éclairages ponctuels, terminologie spécifique, impressions personnelles et références.

Et c'est avec l'envie sous-jacente de travailler sur le Portrait que j'ai conduit ce travail d'étude. Une question du portrait qui se manifeste ici, et de manière générale dans la Série, sur différents niveaux : portrait d'une série (culte), portrait  - archétypal ou mythique ? - d'un lieutenant de police, multiples visages du Crime... 


https://www.catupload.com/download/5fb97bd38d05e7a66236ee633d86305a.html  

"... Parmi toutes les séries diffusées et rediffusées sur les chaînes de télévision qui existent, j'ai une attirance particulière pour la série policière. Je m'attache la plupart du temps à la personnalité de l'enquêteur(trice) et à la nature des intrigues qui mettent en scène une diversité de personnages et de scénarii de crimes." Pour lire la suite, cliquer sur l'image ci-dessus. 


Bonne lecture.

p.s. : les photogrammes utilisés dans cet article se retrouvent présentés et commentés dans mon dossier Columbo vs Columbo, de la fiction à la réalité et de la réalité à la fiction.

p.s. 2 : les termes accompagnés d'une * sont explicités dans le corps du dossier ou dans le glossaire. Les termes soulignés sont aussi à découvrir dans les lectures proposées par ma bibliographie.

p.s. : 3 : remarques, commentaires, échanges divers, variés ET sérieux sont les bienvenus. N'hésitez pas, écrivez-moi.

© ema dée

jeudi 10 décembre 2015

Pour la journée internationale de protection des droits des animaux

La fête des droits des animaux

Je voulus un chat racé
On m'offrit un matou rouge qui pétait dans mes bottes

Je voulus un chien vif
On m'offrit un roquet vert qui jappait contre les portes ouvertes

Je voulus un hamster joueur
On m'offrit un rat jaune qui me fixait, apathique 

Je voulus des poissons charmants et paisibles
On m'offrit un poisson gris qui nageait sur le dos

Je voulus un oiseau mélomane
On m'offrit un piaf caca d'oie qui jurait comme un charretier

Je voulus un mogwaï
On m'offrit des gremlins 
  
Moralité ? 
Méfiez-vous de vos souhaits de fin d'année !
ou 
Faut pas juger à l'emballage.


Extrait de Une suite de malentendus

© ema dée

mercredi 9 décembre 2015

Mon premier festival "graphique" de cinéma indépendant

Chères internautes, chers visiteurs du web,


J'ai participé au 1er festival "graphique" de cinéma indépendant Impro Des Cinés qui s'est tenu sur Improzine.blogspot.fr* le jeudi 3 décembre dernier, journée internationale du Cinéma indépendant.

J'ai en effet répondu "oui !" à l'appel de son organisateur, Thomas, car je suis friande de nouveaux défis et je suis plus que fan de cinéma. Sans réfléchir une seconde, j'ai saisi cette occasion pour proposer un de mes projets de films - un film d'animation, forcément.

Voilà en quoi consistait cette irrésistible proposition :  

"... L'idée est simple : imaginez l'affiche du film de votre vie ! Trouvez le titre le plus adapté et faites un résumé alléchant pour donner envie au public d'aller en salle pour le découvrir.

Tout est permis, vous avez le droit d'être dans la fiction, l'actioner, le fantastique, le réalisme, le thriller, le biopic,... de jouer votre rôle ou de trouver un acteur à votre mesure, de vous situez à notre époque ou pas,... dans une autre dimension, un autre espace temps ou tout simplement de devenir un concept...
"

Une fois le sujet lancé, j'avoue que j'ai eu comme un grand blanc : je suis passée par une période de ruminations plutôt longue... Quoi raconter et comment le traduire graphiquement ? Que voulait dire finalement "un film indépendant" ?... J'avais des idées, j'avais trop d'idées, j'avais pas d'idées en somme... Pas moyen de suivre une intuition jusqu'au bout sans voir en arriver une autre en apparence plus extraordinaire. 

Il faut dire que je n'aime pas répondre à un sujet extérieur sans engagement personnel. Il faut que le sujet me parle... Et parfois trouver l'angle d'accroche - et d'approche - prend du temps... Un temps certain... Un certain temps plus précisément.

Voyez-vous, je voulais quelque chose de comparable au film collectif Peur(s) du noir (2007) mais qui ait quelque chose de proche de Coffee and cigarettes de Jim Jarmusch (2002) et du long métrage Les nouveaux sauvages de Damian Szifron/ Pédro Almodovar (2014) et qui traduise, de surcroît, mon intérêt pour le travail habité de Bill Plympton (Des Idiots et des Anges, 2009) et de Sylvain Chomet (Les triplettes de Belleville, 2002.) 

Ma confusion se comprend-t-elle mieux ?

26 rue Duffourg

J'ai finalement opté pour une histoire pleines d'histoires dont voici l'affiche. Intitulée Au 26 de la rue Duffourg, c'est une série de huit petits courts-métrages mettant en scène des personnages pas si imaginaires que ça. Cette formule classique, complètement adaptée à mon univers fait de fragments et de petites expériences, m'a permis de travailler sur l'un de mes sujets favoris, les Gens

Nous étions trois à participer à cette première expérience de festival de cinéma indépendant d'un genre inédit. Pour voir les affiches des films proposés et lire les synopsis ET les critiques, c'est ici.

* Les explorateurs du 9ème art que nous sommes aimons les défis graphiques. Pour découvrir ceux que nous avons déjà relevés, c'est ici et .

© ema dée

mardi 8 décembre 2015

Un regard pour le fanzine ou la révolution du DIY

Je me passionne pour le fanzine depuis quatre ans.



"Fanzine : mot-valise d’origine anglo-saxonne, composé à partir de fanatic et de magazine."

"DIY : pour Do It Yourself qui signifie fais-le toi-même ou fais-le par toi-même ou encore fabrique-le toi-même ".


C'est quoi, c'est qui ?

Pour commencer, c'est quoi un fanzine ? Très brièvement, il s'agit d'une publication hors norme qui contient des textes et/ ou des images de toutes natures* et qui utilise des réseaux de diffusion  "sous-terrains" (= underground) c'est-à-dire non officiels, libres et très variés. Édité souvent en très petites quantités, le fanzine est considéré comme une forme "sauvage" de l'édition car ses modes de distribution comme sa présentation, ses contenus, ses formats sont protéiformes et cette diffusion concerne souvent des cercles privilégiés.

*Pour les images : dessin, portrait, scénette, au stylo bille, crayon, feutre, plume, gravure, collage, photomontage, photographie, insert de coupures de journaux... Pour les textes : essai, poésie, nouvelle et micro-nouvelle, parole de chanson, chant engagé, message politique, étude, article critique... Entre les deux : récit graphique, texte illustré, roman-photo, bande-dessinée, jeu,...  Mais aussi cassettes audio, CD de musique... Les procédés d'impression et les techniques de reliure - divers - sont choisis en fonction du nombre d'exemplaires décidés, du coût - bien sûr - mais aussi de leurs qualités esthétiques : risographie, sérigraphie, photocopiage, impression laser ou offset pour l'impression, reliure "dos carré" - qui est une reliure industrielle - ou en cahiers "cousus" ou "agrafés" qui peut se faire soi-même... pour la reliure.

Apparu dans les années 1970, le fanzine est surtout un moyen formidable et peu onéreux pour de nombreux créatifs - d'images, de textes mais aussi de sons - de se faire connaître, d'exprimer un point de vue sur un sujet qui les passionne ou tout simplement d'exhiber leurs créations et d'y trouver une forme de stimulation dans l'échange et le partage - sans intermédiaire.

L'essence du fanzine est résolument sa nature expérimentale tant dans sa facture, sa présentation visuelle que dans son contenu. Il ne se limite à rien, tous les sujets, styles d'écriture et expressions graphiques sont permis. Un fanzine peut n'être composé que d'images, de textes découpés, collés puis photocopiés, de photomontages, d'un assemblage de textes et d'images sans recherche particulière d'une mise en page définie, ou de pages manuscrites - extraites de carnets - ou dactylographiées. Le fanzine peut à l'inverse être très travaillé et se présenter dans une mise en forme léchée, comparable à celle de revues connues et très bien diffusées ; on peut alors parler de (mag)zines.

Enfin, le fanzine représente pour certains créatifs une première étape d'importance avant le lancement d'un projet d'édition d'envergure (revue, recueil de texte, album...)

L'ampleur du phénomène explique que se soient multipliés les salons qui lui sont consacrés en France (Lille, Paris, Lyon...) et ailleurs (Boston, Bruxelles, Copenhague...) et les bibliothèques et galeries en ligne exposant des fanzines à consulter et/ ou à acheter.


Mes premiers pas dans le fanzine

Je découvre l'existence du fanzine - dont j'avais entendu parlé vaguement et que j'avais vaguement oublié - grâce à deux événements : la première édition de festival de bandes dessinées indépendantes Formula Bula et ma visite à Fanzines ! , un autre festival parisien dédié quant à lui à l'autoédition graphique.

Formula Bula qui s'est tenu en 2011 et 2013 à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et au Point éphémère en 2015 (Paris 10ème) est l'occasion de rencontres multiples (ateliers, conférences, signatures, expositions) entre des lecteurs amateurs ou curieux du genre et des acteurs de la bande dessinée (dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, éditeurs, critiques d'art.) Fanzines ! - qui propose au sein de la bibliothèque Marguerite Duras (Paris 20ème) un ensemble hétéroclite de références - annuellement augmentées et en provenance des quatre coins du monde grâce à un appel à contributions lancé courant juin par les éditions Papier gaché - a fêté sa cinquième édition cette année.

 Pluie de fanzines suspendus. 3ème festival Fanzines ! 2014
(Vous aurez reconnu ma publication tout de rouge tue, en haut à gauche.)

En  2011, j'assiste à une table ronde qui me permet de faire notamment la connaissance des activités de la librairie Le Monte-en-l'air (Paris 20ème) et du dessinateur français Guillaume Bouzard, connu, entre autres, pour ses bandes dessinées autobiographiques (The autobiography of me too, éd. Les Requins marteaux, 2004) ou mettant en scène des anti-héros (Plageman, l'homme plage, éd. 6 pieds sous terre, 1997.) Je retiens de cette rencontre deux points essentiels :

-1°) Le Monte-en-l'air soutient l'auto-édition graphique et accueille dans ses bacs et étagères tous les projets de fanzines sans restriction.

-2°) G. Bouzard a débuté dans la bande dessinée en faisant des fanzines. Il convient qu'ils représentent une forme de publication plutôt intimiste, voire confidentielle. Espaces à exploiter complètement libres de tout jugement, consensus ou code prédéfini, les fanzines sont, au regard de sa propre expérience, le lieu rêvé pour qu'un artiste trouve sa voix, ses formes d'expression, ses thèmes propres et puisse collaborer à de multiples projets. En osant prendre des risques esthétiques.

En 2012, je sillonne les allées étroites de la salle des ventes de fanzines et autres petits produits auto-produits du festival Fanzines ! , regarde avec avidité les revues, albums, feuillets... joliment suspendus le long des cimaises dans un espace dédié et consulte avec fièvre les bacs débordant d'autopublications. Tous les fanzines possibles semblent être réunis ici : de la feuille A4 pliée en deux et agrafée ou cousue au milieu, à la publication de type magazine, reliée, exposant fièrement sa couverture en couleurs et ses 200 pages de textes illustrés, en passant par les mini-livres, les livres-dépliants, les livres en tissu...

Ce sont ici essentiellement des œuvres sur papier d'artistes qui travaillent seuls ou des productions de collectifs. Ce sont ici des fanzines ou des graphzines (fanzines ne contenant que des images.)


Pourquoi un tel intérêt ?

Mon engouement et ma curiosité seront ravivés très récemment grâce à la découverte dans une bibliothèque universitaire du livre Fanzines, la révolution du Diy paru en 2010 aux éditions Pyramid qui actualise ma connaissance empirique du fanzine. C'est un ouvrage richement documenté d'un peu plus de 250 pages qui fait l'historique du fanzine, depuis les fameux feuillets photocopiés un peu cra-cra et distribués "sous le manteau" des années 1970 jusqu'aux nouvelles créations collectives développées sur le web.

On apprend par exemple que le fanzine aurait plutôt des origines punk. On constate la grande diversité des productions qui entretiennent avec une certaine actualité des liens plus ou moins forts et la capacité du genre à aborder des sujets très différents. On apprend aussi qu'il existe un fanzine féministe ou encore que le fanzine a connu plusieurs "révolutions". Il faudra se le procurer pour en savoir plus.

http://www.undressed-design.com/2013/11/un-peu-de-lecture-1-fanzines-la-revolution-du-diy/

Comment le fanzine intervient-il dans ma production ? Quelle place est-ce que je lui accorde ? Le fanzine représente pour moi une sorte de fantasme. Celui de pouvoir gérer tout le circuit d'une publication originale, "particulière", c'est-à-dire assumer comme j'en ai envie la création, la fabrication, la distribution et la vente d'une œuvre sur papier dont j'aurai décidé - seule - l'utilité, la pertinence et l’esthétique.

Pour l'instant, je ne crée pas de fanzines à proprement parler ; je crée des livres uniques ou je développe des projets pour lesquels je fais appel à des sociétés d'autoédition en ligne qui me fournissent aussi une vitrine. Et ceci pour deux raisons :

1) Parce que je travaille sur des concepts à partir de carnets déjà faits, sans prendre en compte la reproductibilité de l'idée d'une part - il s'agit davantage de projets de livres d'artiste qui s'approprient le support (découpe ou ornementation de la couverture, découpe ludique ou déchirure volontaire des pages...)

2) D'autre part, parce que je suis particulièrement sensible à l'objet fini, je veux dire fabriqué en usine. Je me projette plus facilement dans des "projets d'édition" plutôt que dans des "expériences graphiques et littéraires éphémères". Les sociétés en ligne d'aide à l'autoédition me permettent d'avoir en main des ouvrages de belle facture que je ne suis pas capable de réaliser toute seule, pour le moment.

Je n'ai donc pas encore franchi le pas de la production d'un fanzine de type feuillet double cousu à la main, par exemple, car une telle production suppose, selon moi, un lieu ou une occasion pour être montré et surtout, des conditions d'entreposage particulier - qui la préserve. C'est cette interrogation qui me vient lorsque je visite pour la seconde fois le salon Fanzines ! Du coup, je me pose d'autres questions parce que je suis d'une nature curieuse d'abord, et parce que je suis sensibilisée à la représentation, la préservation et la diffusion des œuvres graphiques dans l'espace public.

Mon premier imagier en autoédition
Extrait de filles, recueil de portraits et de textes humoristiques. 
Autopublié. 2013

Par exemple : quelle visibilité toutes ces créations originales peuvent avoir en dehors du festival ? N'y a-t-il pas comme une contradiction dans le fait qu'une bibliothèque publique accueille, catalogue et donc rende disponible comme n'importe quel document des créations aussi singulières que les fanzines dont le charme et la logique surtout résident - justement - dans leur caractère non institutionnel ?   Quel type de traitement intellectuel et physique s'applique par conséquent au fanzine ? Est-ce qu'il circule ? S'il est abîmé ou déchiré accidentellement, le change-t-on, est-on en mesure de le faire, est-il envoyé en reliure comme c'est le cas pour un livre "classique" ?...

En faisant  la recherche sur internet d'autres références documentaires traitant du fanzine, je trouve par hasard un dossier publié dans  Matières graphiques, intitulé F comme Fanzines d'Emilie Mouquet et publié sur le site du BBF (Bulletin des bibliothèques de France). Très référencé, il propose notamment un approfondissement et une ouverture de ces premières réflexions, dresse une typologie des fanzines... Je le recommande vivement.



Sitographie

Pour aller plus loin, on peut consulter avec enthousiasme et à satiété : 
*Teal Triggs, Fanzines, la révolution du Diy, éd. Pyramid, 2010 en téléchargement gratuit 
*Le site de la librairie en ligne La pétroleuse
*L'article publié dans le n°6 de la revue en ligne Matière graphique
*Le site de la fanzinothèque de Poitiers 
*Le site de la petite fanzinothèque belge 
* Un exemple de communauté virtuelle de créateurs de graphzines 
* Sur quelques techniques d'impression 

© ema dée