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mardi 7 juin 2016

La demoiselle incertaine ou De la difficulté de choisir son chemin


Il était une fois une fillette - enfin, une fillette, plutôt une jeune fille, tendre et naïve, aux traits et à l'allure générale d'apparence enfantine, mais mûre tout de même sur certaines questions  -  donc, il était une fois une demoiselle - appelons la ainsi pour être plus juste, à  qui il fut confiée la terrible et épineuse tâche de déterminer ce qu'elle souhaitait devenir plus tard, c'est-à-dire à l'âge beaucoup moins naïf où on ne fait plus de rêve du tout, paraît-il. Et ce, le jour de ses 16 ans. Le temps s'arrêta au-dessus du gâteau traditionnel d'anniversaire. La fête se déroulait en petit comité. On avait acheté des fleurs, posé des guirlandes lumineuses sur les murs, on avait sorti le service de table approprié et mis d'élégants habits.

La demoiselle en resta bouche bée alors que l'atmosphère du salon parental se chargeait des effluves tournoyantes des bougies tout juste éteintes au-dessus d'un fraisier caramel citron menthe, la spécialité de la famille. Bouche bée, oui, face à la question qui lui tomba dessus comme la Justice divine : "Et, maintenant tu vas faire quoi ?" lancée par ses parents d'une seule voix et d'un commun accord apparemment non prémédité. La demoiselle avait bien deux ou trois idées soufflées par quelques fréquentations bohèmes, coquines, roublardes ou industrieuses qu'elle aurait volontiers partager avec Mère et Père si elle n'avait pas senti peser sur ses épaules rondelettes et sur sa nuque duveteuse, le regard tout à coup particulièrement attentif et la respiration sifflante de ses géniteurs. Valait-elle l'investissement fourni ? Pour éviter la précipitation qui donne toujours des idées incomplètes et peu fiables, la demoiselle haussa simplement les épaules. Chacun engloutit sa part de gâteau dans un silence étouffé et gourmand.

On se leva de sa chaise, on débarrassa la table, on s'embrassa sur la joue en se tenant les épaules avec tendresse et on se souhaita la bonne nuit qui apporte de bons conseils, c'était le dicton favori de la famille.


Allongée sur son lit, la demoiselle se mit à réfléchir mais pas assez fort car elle s'endormit rapidement tout habillée. Elle fit un rêve singulier : elle marchait sur une route inconnue, bordée d'arbres tordus comme des baobabs, avec rien autour. Dans sa main, elle vit un morceau de papier cadeau ; au verso, il y avait inscrit un texte dont les lettres diminuaient à mesure qu'elle cherchait à déchiffrer ce qui lui semblait être une prévision. Elle mit les lunettes qu'elle trouva dans sa poche comme par magie et considéra de nouveau le texte. Quelle horreur ! Toutes les lettres étaient comme vivantes, elles se déplaçaient en tous sens sur le morceau de papier à la manière de tout petits insectes et formaient  parfois des mots incongrus tels que MESESPOIR, ALEMARACRME, ce qui ne voulait absolument rien dire. Elle jeta le papier, les lettres se mirent à crier, elle se sauva.

Mais pas bien loin.

La demoiselle arrivait en effet à la fin de la route bordée de baobabs. Là où il y aurait dû y avoir, par exemple, un beau paysage bucolique où se promener et rencontrer des bêtes féroces et séduisantes, ou au moins, la suite de la route bordée de jolis baobabs qui la mènerait plus profondément dans son rêve, il y avait un mur, très haut et très long, démesuré et infranchissable. La demoiselle fit ce qu'elle faisait d'ordinaire devant un problème insoluble, elle s'assit par terre en tailleur et attendit tranquillement que les choses changent d'elles-mêmes. Elle vit alors à ses pieds quatre fleurs curieusement assemblées et qu'elle n'avait pas remarquées avant, comme si elles avaient jailli d'un seul coup. Elle voulut les cueillir mais se retint car elles se mirent à lui parler :
  
-Il faut tirer le diable par la queue, commanda le gardénia.
-Si j'étais toi, je prendrais la clé des champs, souffla le coquelicot en défroissant ses pétales avec préciosité.
-Mais, laisse-toi vivre un peu, quel mal peux-tu te faire ? Tu as bien le temps de devenir triste et sérieuse, l'exhorta la tulipe.
-Un voyage, ça te dit, mignonne ? C'est la princesse qui régale, proposa avec malice la pâquerette, du rose lui couvrait les pétales par endroits.


La demoiselle qui détestait qu'on lui donne des ordres dans la vie quotidienne comme dans ses rêves, ou qu'on l'influence de quelque manière que ce soit, écrasa le coquelicot du pied, arracha les feuilles du gardénia et secoua violemment la tulipe sur sa tige. Mais elle cueillit avec délicatesse la pâquerette qu'elle installa dans la poche de sa veste d'anniversaire. Dans le mur, se dessinèrent alors au crayon les contours de quatre portes. La demoiselle qui n'aimait pas se poser des questions qui donnent des migraines de trois jours et une humeur de chien décida de les ouvrir toutes, l'une après l'autre, et de décider après ce qu'elle avait bien envie de faire avec toutes ces nouvelles possibilités. La première porte donnait sur un paysage de montagnes aux pics surélevés nimbés d'une lumière mauve. Derrière la seconde, s'étendait une vaste plaine silencieuse d'un vert acide. La troisième porte s'ouvrait sur un bord de mer blond et bleu azur, désert, changeant et rocailleux. Enfin, la quatrième donnait sur  une chaise et une table...

Une chaise et ... une table ?

La surprise la réveilla tout à fait.


© ema dée

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